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La bringue

Nous sommes lundi matin et je me suis réveillée avec un mal de dos terrible. Le fait est que je suis fragile du dos, et qu’il m’arrive effectivement d’avoir ce genre de douleurs. Mais comme celle-ci aujourd’hui, ces douleurs sont « inhabituelles ». Si cette douleur est inhabituelle, si justement elle est « hors-norme », elle est bien en dehors d’une « normale ». Je vais donc partir du principe que je ne devrais pas avoir mal au dos. Je vais considérer que ma douleur est un signe de mon inconscient, qui doit être interprété.

Accessoirement, j’aurais également pu considérer qu’avoir mal au dos, être fragile du dos, est en soi une « anomalie », n’est pas normal, et donc devais être interrogé. Que je l’ai fait ou pas n’est pas important. Et puisque ma douleur est là, je vais la traiter exactement comme je le ferais d’une émotion.

Encore une fois, il serait très possible de considérer que nous avons tous des bobos, des points faibles physiques. Je pourrais par exemple considérer que c’est un trait familial, qui nous caractérise, ma famille et moi. Mais encore une fois, le gain serait minime. Si je ne peux rien y faire, je me condamne à subir la situation. Si au contraire je remets ce trait physique en question, que je considère qu’il est le fruit d’une information de mon inconscient, je m’autorise à agir sur lui, et j’autorise mon inconscient à le traiter, s’il le peut.

Peut être que cette hypothèse ne m’apportera rien. Peut-être ne serai-je jamais capable de modifier cette douleur, d’arranger quoi que ce soit à ma situation physique. Pourtant, si ma douleur est – ne serait-ce que partiellement – inconsciente, en la déprojetant je pourrais aider mon inconscient à la vider. D’une manière générale, je considère que toute douleur pourrait et devrait être interrogée et déprojetée. Qui suis-je pour savoir ce qui est du domaine de l’inconscient ou non ? Après tout, de quel droit pourrais-je savoir ce que mon inconscient gouverne ?

Je vais donc considérer que ma douleur est un discours de mon inconscient. Elle révèle une agression. Puisqu’elle s’est réveillée de manière soudaine, elle a dû être provoquée : elle doit être la réaction face à une situation que mon inconscient a vu dans un passé récent.

Je remonte la chronologie de mes derniers jours. Qu’ai-je fait dimanche ? J’ai beaucoup travaillé, plus que d’habitude. Pourquoi ? Parce que la veille, j’ai passé la journée à paresser dans mon lit. D’une manière générale, je travaille beaucoup. La journée de dimanche n’est donc pas inhabituelle pour moi, elle est relativement normale. Par contre, il est très rare que je passe une journée à paresser au lit. Je dirais même qu’étant donné la quantité de travail que j’ai à terminer, il est tout à fait anormal que je me sois permis une telle journée de détente en ce moment. C’est donc la journée du samedi qui a été anormale. Quelque chose a donc du se passer avant samedi.

Spontanément, je me dis qu’il n’est pas anormal de paresser au lit quand on a fait la bringue la veille. Voilà une pensée qui m’est venu immédiatement quand j’ai pensé à ma journée de samedi, et qui s’est passé le vendredi soir. C’est le moment de la journée qui m’a le plus marqué dans cette journée.

Ce qui m’a le plus marqué au cours de cette soirée, c’est le fait que j’ai fait la connaissance d’une jeune femme qui, tout en n’étant pas de ma profession,travaille dans un domaine très proche de mes intérêts, ou plutôt ceux que j’avais à la fin de mes études, lors de ma thèse. Pour être plus précise, ses intérêts rejoignent mon sujet de thèse de fin d’étude, celle qui m’a permis d’obtenir mon diplôme professionnel.

Je creuse un peu le souvenir de la soirée. Mon mari étions invités au pot de départ d’un ami de mon mari. Nous étions au restaurant, et cette jeune femme, que je ne connaissais pas, se trouvait en face de moi. Au cours de la soirée, elle s’est révélée travailler dans un domaine parallèle et très proche du mien. J’ai appris au cours de la conversation qu’elle avait travaillé et travaillait encore régulièrement avec un homme dont j’admire beaucoup le travail, et dont j’avais cité le travail dans ma thèse, mais que je n’ai jamais rencontré. J’ai été ravie de pouvoir échanger avec elle durant cette soirée.

Il me semble que je tiens là une bonne piste. Ce sont des évènements assez exceptionnels en soi pour qu’ils aient pu me marquer. Ce sont également des choses relativement positives. Et surtout, ce sont les premiers éléments qui me viennent à l’esprit, ceux qui m’ont marqué le plus. Il ne devrait pas y avoir là d’agression, puisqu’il s’agit d’une expérience positive, mais d’un autre côté je vois que je souffre aujourd’hui. Je vais donc creuser un peu plus le contexte, et simplement chercher à me souvenir ce qui m’a marqué durant la soirée.

Spontanément, je me souviens que cet ami de mon mari, que je ne connaissais pas bien, est venu s’assoir à côté de nous durant la soirée. Nous avons discuté de tout et de rien. Il nous a raconté qu’il était membre d’une fratrie de quatre frères. Deux d’entre eux, les deux ainés dans mon souvenir, avaient des vies routinières, et les deux autres avaient pris le parti de travailler ponctuellement, essentiellement pour avoir les moyens de voyager le reste du temps. Au cours de la soirée, un autre homme s’est joint à la conversation, et a souligné les désagréments de la vie de famille. Le jeune hommme a avoué que c’étaient justement ces désagréments qui lui faisaient peur, et dont ils ne voulaient pas.

Accessoirement, j’ai également appris qu’il avait rencontré sa compagne ici. Tous deux ont leur famille en métropole. A la suite de cette soirée, ils vont retourner en métropole, pour se présenter à leurs familles respectives. Ensuite de quoi ils travailleront de 6 mois à un an, le temps d’accumuler suffisamment d’argent pour se payer un tour du monde dans des pays exotiques. Nous avons également parlé de tout ce que pouvaient apporter les voyages, de l’ouverture d’esprit qu’ils procuraient.

En même temps que j’ai raconté, ou que je me suis raconté ma soirée et ses évènements importants, j’ai pris soin de prendre un certain recul par rapport à mon discours. J’ai essayé d’être aussi proche de mon ressenti que possible, de laisser venir les mots exactement comme ils me viennent à l’esprit. J’ai essayé de laisser parler mon émotion exactement comme elle vient, en allant dans l’irrationnel, dans le ressenti, dans ce que j’ai pensé, sans le travestir. Mais en même temps que je me disais cela, j’ai pris soin de justement relever ce que je raconte. Non pas pour le juger, mais parce que chaque chose que je vais dire sera ensuite interpréter, comme ayant une signification pour l’inconscient.

Il n’est pas anodin que j’ai pensé à ceci ou cela, que j’emploie tel ou tel mot. Et de toute façon, ce qui me viendra spontanément sera la pure expression de mon inconscient, et devra donc être interprété. Il me faut juste éviter de juger mon propos, aller vers mon ressenti, même et surtout irrationnel, et relever ce qui me vient.

Cette phase est capitale. Je ne dois pas aller directement vers l’interprétation. Pour pouvoir interpréter, encore faut-il avoir quelque chose à interpréter. Et pour cela, je dois d’abord ce que mon inconscient exprime. D’une manière générale, se précipiter vers l’interprétation, sans prendre le temps de noter mon émotion telle que me vient revient à plaquer quelque chose de connu sur une émotion. Tout ce que j’interprète à travers des raccourcis, sans coller aux faits, sans chercher à analyser ce que mon émotion d’aujourd’hui me dit, revient à fuir quelque chose d’incconu, et donc chargé d’information, pour aller vers le connu. Or justement, le connu ne m’aidera pas. La source de mon trouble est justement dans l’inconnu.

Ayant déterminé l’émotion anormale -ici la douleur, ayant déterminé sa source, et ayant pris soin de revivre et noté mon ressenti, je peux commencer mon analyse. Pour cela, il va falloir que je retranscrive ce que mon inconscient a vu à travers cette soirée, et que mon conscient n’a pas vu.

Quelques points de repères peuvent m’aider à ce stade :

Je sais que mon inconscient raisonne par adjectifs qualificatifs, et s’intéresse aux relations, aux fonctions entre personnes/objets.

Je sais que mon inconscient passe son temps à faire des listes d’adjectifs qualificatifs.

Je sais que mon inconscient condense les informations et qu’il interprète tout à travers sa propre grille de lecture, qui est celle de ma place dans la famille.

Je sais que pour mon inconscient, la notion de travail, de profession, réfèrent spécifiquement à la place de chacun dans une famille. Le « travail »de mon père est justement d’être mon père, tandis que le « travail » de l’homme qu’est mon père est d’être maçon, jardinier, chômeur… Et de même le « travail » de ma mère est d’être ma mère, tandis que le « travail » de Mme. Untel est d’être maçon, jardinière ou chômeuse…

Je vais reprendre la soirée de vendredi :

Quels sont les éléments que mon inconscient a vu ?

Que des gens se sont réunis autour d’une table, alors qu’ils ne se connaissent pas forcément. Dans le monde de l’inconscient, cela serait l’équivalent d’une famille.

Un homme réunit une famille à l’occasion de son départ.

Un homme qui dit qu’il a rencontré une jeune femme. Il veut la présenter à cette famille.

Son but annoncé dans la vie n’est pas de « travailler », c’est-à-dire dans le langage inconscient, assumer son rôle de père, mais bien d’éviter la « vie de famille » et la « routine » qui lui font peur.

Il veut voyager, et il affirme que ces voyages le « forment ». Cela tendrait à dire qu’il ne se considère pas encore comme « formé », c’est-à-dire qu’il ne se reconnait pas du tout comme un père, ni même comme un adulte, mais comme un enfant.

Il est également dit que cet homme partage avec sa compagne l’idéal de travailler ponctuellement , sur une période de 6 mois éventuellement, pour accumuler de l’argent, de la valeur, pour ensuite passer le reste de l’année à voyager.

S’ils veulent travailler ponctuellement, pour ensuite voyager, il est logique de penser qu’ils auront accumulé pendant cette période de travail une valeur telle qu’elle pourra leur permettre ensuite de ne rien faire. Ils savent donc qu’ils pourront gagner plus pendant cette période, et que ce surplus leur sera utile par la suite pour mener la vie qu’ils souhaite tous les deux.

Or pour l’inconscient, nous sommes tous normaux. C’est-à-dire que personne ne peut gagner plus – avoir plus de valeur – que d’autres,de manière systématique et durable, sans prendre ce surplus de « valeur »à quelqu’un d’autre, quand ce gain est systématique, « prévu ». Le gain de l’un est donc la perte de l’autre. Un gain ponctuel, non prévu, peut être l’effet du hasard, mais un gain « prévisible » dans le futur, est un vol pur et simple, une extorsion.

Et puisque mon inconscient voit en tout et en tous la représentation de mes parents ou de l’homme et la femme que sont mes parents, et qui ont plein pouvoirs sur moi, il est clair que ce surplus de valeur dont ce couple prévoit de disposer,c’est bien de ma valeur dont il s’agit, sur laquelle ils comptent et dont ils me disent vouloir l’utiliser pour eux.

Finalement, je peux dire que ce sont des personnes qui ont choisi de sacrifier leur famille, ou leur famille potentielle ou à venir, à leurs propres intérêts. Ils se sont ouvertement décidés à se donner la priorité, et ils l’affichent clairement. C’est d’ailleurs un choix qui résulte d’une peur profonde de la famille, dont ils me font part sans retenue.

Or justement leur famille c’est moi. Puisque dans le monde de l’inconscient nous sommes toujours dans le monde de la famille,

La jeune femme dont la rencontre m’a particulièrement marqué lors de cette soirée, et qui n’a a priori rien à voir avec le jeune couple, est assise en face de moi. Pourtant, pour mon inconscient, elle est elle-même vue comme quelqu’un qui est assise à la même table que moi, qui prend part à la même réunion. Notre rencontre m’a marqué, il faut donc en déduire que mon inconscient y a vu quelqu’un de ma famille.

Je pourrais penser que cette jeune femme qui est si proche de moi par ses intérêts, qui est assise en face de moi, doit être moi-même, ma propre image, que je reconnais, plus jeune. Mais j’ai aimé « échanger » avec elle. Et d’autre part, elle a travaillé et travaille encore avec un homme que j’admire, et elle n’exerce pas la même profession que moi, alors même que nous avons des intérêts communs. Une interprétation pourrait être que cette jeune femme est moi-même, une autre pourrait être que cette jeune femme est ma mère. Les deux seraient possibles, et au final ce sera mon émotion, le fait qu’elle « tombe », qui me dira ce que mon inconscient a vu dans cette scène.

Mais comme la soirée du vendredi a eu pour conséquence une journée de « détente » exceptionnelle le lendemain, que j’ai ensuite « payée » très cher par un dimanche chargé et un mal de dos le lundi, je vais partir du principe que, même si j’ai pu me reconnaitre en cette jeune femme dans un premier temps, de façon consciente, mon inconscient a vu en elle une représentation de ma mère.

Je peux me tromper. Encore une fois, il suffit de faire le travail d’analyse, et vérifier si l’émotion tombe. Mon choix ici – et en général – est de n’opter que pour les hypothèses qui sont à mon désavantage.

Penser que mon inconscient m’a reconnu dans cette jeune fille, c’est opter pour une solution optimiste : elle partage mes intérêts, elle travaille avec un homme que j’admire, à qui je donnerai probablement, si je devais l’interpréter, le rôle de mon père. En somme, elle me réconforte avec une image de moi-même. Pourtant les troubles psychologiques viennent d’un savoir de l’inconscient, et ce savoir est en général le savoir d’une agression occultée par lui, pour ma survie. Je vais donc opter pour la deuxième interprétation, celle dans laquelle cette jeune femme est ma mère.

Elle partage donc le même intérêt que moi, ou celui que j’avais quand j’ai passé ma thèse, mon diplôme. Il y a donc une femme qui est présente dans la même réunion, famille, que est la mienne, qui est assise à cette table. Elle est placée en face de moi, elle me fait face. Et il se trouve que, comme par hasard, nous pouvons « échanger », parce que nous avons au moins un intérêt commun, celui sur lequel j’ai basé ma thèse.

Par ailleurs, elle travaille et a travaillé avec un homme que j’admire, ou plutôt dont j’admire le travail, mais que je n’ai jamais rencontré, jamais vu. Elle ne fait pas le même travail que moi, mais me signifie que nous pouvons « échanger », puisque nous avons un intérêt commun.

Ce terme « échanger » n’est pas anodin. Echanger, c’est éventuellement échanger de place : « tu prends la mienne, je prends la tienne ». Pour l’inconscient, la possibilité de pouvoir échanger, c’est autoriser l’autre à prendre sa place, et vice-versa. Dans le monde de la famille, c’est permettre aux enfants de devenir des adultes, mais également aux adultes de devenir des enfants. C’est également dire que deux personnes sont égales, et peuvent faire le même travail, et surtout assurer la même fonction, quelle qu’elle soit et en particulier sexuelle.

Surtout, le fait d’échanger se fait à deux. C’est un processus qui affirme une égalité de principe. Mais justement, l’inconscient se voit toujours comme un enfant au sein d’une famille, donc comme une personne dépendente de personnes plus fortes que lui, qui sont a priori des étrangers, et dont il faut tout accepter, justement parce que je n’ai pas le choix. Si une personne échange avec moi, l’enfant, il s’agit forcément d’un adulte dont ma vie dépend. Si cet adulte veut échanger avec moi, c’est qu’il veut également me donner une autre fonction que celle que je devrais avoir, être un enfant. Et s’il le veut, je ne peux avoir le choix. Il ne s’agit donc pas d’une situation égalitaire. Si quelqu’un veut échanger avec moi, cela peut vouloir dire qu’il me demande de lui céder ma place, aussi.

Je suis donc dans une situation dans laquelle je suis réunie avec ma famille et personne n’ignore qu’un couple veut retourner en « métropole », littéralement la « ville mère », donc leur famille respective. Il ya donc un couple qui veut se faire accepter parmi ses ascendants, qui est plus soucieux de conserver deux familles distinctes, les leurs, plutôt que de créer une famille unique ensemble.

Ils me disent clairement que s’ils acceptent de travailler, c’est-à-dire d’assumer leur fonction de parents, ce n’est que pour une période très courte, de 6 mois éventuellement, avec laquelle ils comptent bien avoir engrangé assez de valeur pour pouvoir faire ce qu’ils veulent ensuite, et en particulier ce qui leur fait plaisir.Ils vont donc travailler beaucoup pour une période très courte de temps, pendant laquelle je pourrai me reposer sur eux, puis ils ne travailleront plus, ils cesseront de travailler. Et s’ils arrêtent de travailler, allors que nous formons encore une « famille », c’est que je devrais compenser leur absence. Ils me feront travailler plus, parce que justement ils ne travailleront plus.

Au cours de ce repas, j’ai vu plusieurs choses : d’abord j’ai vu ce couple qui me préviens de sa philosophie de la vie. Je vois que je suis invitée à partager le repas de gens qui font partie de ma famille, et qui ont une certaine philosophie de la vie, dont la famille est justement exclue, à peu de chose près.