Le week-end dernier, mes enfants avaient invité des amis à dormir à la maison. En début de semaine, j’ai prévenu mon mari que les toilettes de la maison devraient toutes être nettoyées avant le week-end, car elles étaient très sales.
Le mercredi, mon mari a effectivement nettoyé les toilettes. Mais il s’est contenté de laisser agir un produit et de nettoyer avec la balayette, alors que j’aurais souhaité qu’il les nettoie complètement, et en particulier sous les rebords.
Le vendredi, j’ai donc nettoyé les toilettes selon mes critères. J’ai été un peu énervée au début, parce que je considérais que mon mari aurait pu le faire, mais ensuite j’ai simplement été contente de pouvoir rendre les toilettes blanches, brillantes et propres, pour pouvoir en profiter ensuite. J’ai également fait un grand ménage dans la maison, ce qui m’a pris toute la journée. En fin de journée, je m’attendais à une remarque de mon mari, mais celui-ci n’a rien dit. Ce n’est qu’en fin de soirée qu’il m’a finalement fait une remarque. Tout en continuant à regarder son ordinateur, il a lâché : « Putain de grand ménage ».
Je suis ulcérée par cette attitude. J’ai particulièrement du mal à accepter ce manque de reconnaissance pour le travail que j’ai fait.
Cet épisode de ma semaine est douloureux. L’état des toilettes m’a particulièrement marqué, leur crasse, leur saleté. Quand j’en parle, je m’appesantis sur cet aspect. Il était évident qu’étant donné l’état de crasse de ces toilettes, les dessous des rebords devaient être également extrêmement sales, et que mon mari ne pouvait l’ignorer.
Je suis donc face à une émotion qui est douloureuse. Elle peut être anodine, mais puisqu’elle est douloureuse, je vais chercher à la déprojeter.
Il y a émotion, cette scène me parle donc de ma famille, et d’une structure au sein de ma famille. Pas nécessairement d’un souvenir particulier, mais plutôt d’une notion de rapports de forces, de place, de fonctions au sein de la famille, et en particulier de la mienne, de celle qui m’a été imposée.
C’est en ayant cela à l’esprit que je vais chercher à déprojeter. Je vais chercher à rapprocher le plus précisément possible les éléments que j’ai vu de notions ayant du sens au sein de ma famille , en cherchant les adjectifs qualificatifs qui ont du sens pour eux.
De quoi est-il question ici? De toilettes. C’est un endroit que tout le monde utilise, dont tout le monde se sert. Tout le monde peut donc voir l’état de propreté dans lequel elles sont. Par ailleurs, c’est un endroit dont on ne peut se passer, qui correspond à un besoin vital. Nous sommes obligés d’en passer par là. Nous préfèrerions pouvoir ne pas en avoir besoin, mais nous en avons besoin malgré tout, en particulier quand nous sommes dans le besoin. Cet endroit pourrait correspondre à la famille, parce qu’enfant je suis obligée d’y rester en attendant de pouvoir m’en aller.
En fait, elles sont dégoutantes. Il me vient à l’esprit qu’elles sont tellement sales que si je le pouvais je jetterai les toilettes et je les remplaceraient par des neuves.
Ici encore, mon sentiment correspond à un sentiment facile à analyser : je juge ma famille dégoutante, il y a quelque chose en elle qui me dégoute, et je préfèrerais en changer d’un bloc, mais je ne le peux pas.
Si je me contentais de vouloir plaquer une analyse que je connais déjà sur une situation familiale, je me dirais que la situation est toujours la même : mon père cherche à me faire faire son « ménage », c’est-à-dire à construire son couple. Mais cela ne m’apporterai pas grand-chose : je connais cette interprétation. Faire cela reviendrait à m’amener vers du connu, or le connu ne m’aidera pas, ou peu. Il faut que je creuse en collant le plus possible aux faits, à mon ressenti.
Je commence par déprojeter une analyse toute simple sur l’image des toilettes dégoutantes. J’isole le sentiment de dégout, l’impression que m’ont causées ces traces de saleté, et je les associe au sens que j’ai analysé : ces toilettes, ce sont ma perception inconsciente de ma famille quand j’étais enfant, mon envie de m’en débarrasser, le sentiment de vouloir en changer, l’impossibilité de le faire, et l’obligation de faire avec, de la subir.
Me reviennent immédiatement deux souvenirs. Le premier, c’est que ma mère voulait que je fasse le ménage des toilettes et de la salle de bain quand j’étais enfant. Quand j’avais fini, elle examinait mon travail et me signalait mes omissions.
Me revient un deuxième souvenir : adolescente, je me souviens être entrée dans la salle de bain. Au dessus des toilettes, il y avait l’armoire à pharmacie. Je me souviens de m’être dirigée vers cette armoire, et d’avoir songé à prendre tous les médicaments pour en finir.
Ces deux souvenirs me sont revenus au cours de mon travail de déprojection, ils doivent avoir un sens. Ils doivent être pris en compte et être analysés.
Je reviens sur le dessous du rebord des toilettes. Si le fait que mon mari n’est pas nettoyé cela me gêne tellement, c’est que mon inconscient est en train de voir quelque chose dans ce fait qui a du sens pour lui.
De quoi est-il question ? D’un endroit, d’une chose cachée. C’est une chose malsaine, qui visiblement ne dérange pas un homme. Si cela ne le dérange pas, c’est que cette chose cachée doit le concerner lui particulièrement.
Je me concentre sur cette idée, et j’y associe mon père, puisqu’ici il s’agit d’un homme. Aussitôt me revient un souvenir de mon enfance :
J’étais toute petite et je me souviens d’un Noël passé en famille.Je ne me souviens pas de mon âge exact, mais je me souviens bien du sentiment que j’avais éprouvé. Il y avait mes grands-parents, mon père et ma mère. Je me souviens d’avoir senti une rivalité très forte de la part de mon père, pour obtenir l’attention de ma mère.
Ce souvenir doit être analysé, puisqu’il intervient au cours d’une déprojection. De quoi est-il question ?
D’une fête de famille, qui est également le jour, ou la célébration d’une naissance. Mon souvenir évoque quatre personnes, mes deux grands-parents, un homme et une femme qui sont donc spécifiquement des parents, et mon père et ma mère. Puisque je suis dans une déprojection, et que j’ai supposé que mon inconscient voit toujours des situations en rapport avec ma famille au sens strict (père, mère, et moi, en tant qu’enfant), je vais supposer qu’ici les grands-parents sont mes parents dans leur rôle de parents, tandis que mon père et ma mère sont en fait l’homme et la femme que sont mes parents, c’est-à-dire dissociés en dehors de leur rôle de parent.
Cette interprétation est confirmée par le fait que j’ai vu la rivalité de mon père vis-à-vis de moi, pour séduire ma mère. Il est clair que dans cette situation, il ne me considère pas comme son enfant, mais qu’il m’envisage plutôt comme un rival.
Cette observation entraîne deux observations :
– La première concerne nos fonctions respectives : si mon père entre en rivalité avec moi, c’est qu’il nous considère, lui et moi, comme égaux, ou que nous pourrions échanger de places : c’est qu’il se présente lui-même soit comme un enfant, soit qu’il est en train de dire qu’il me voit comme un adulte.
– La seconde concerne le sexe : si mon père me considère comme un rival, c’est qu’il me considère comme un homme, c’est-à-dire comme un individu sexué, et ayant le même sexe que lui. Ou alors c’est qu’il considère que le fait que je sois une femme comme n’étant pas un obstacle au fait de séduire ma mère.
Pour synthétiser ce que je viens d’interpréter, je pourrais dire qu’un jour de naissance, qui est probablement la mienne, je vois qu’alors que ma famille est en train de célébrer ma naissance, l’homme qu’est mon père me voit comme une rivale dans l’amour de la femme qu’est ma mère, et nous signifie ce fait très clairement à toutes deux.
Quand je reviens sur l’image de la crasse des toilettes, je ne ressens plus rien.