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L’abbaye

Ce week-end, mon épouse et moi sommes allés faire quelques visites dans la région. Nous avions prévu de faire une ballade jusqu’à un château en ruine, puis d’aller visiter la Citadelle de Bitche. Nous sommes partis tôt, et avons fait la ballade jusqu’au château. Le château est restauré depuis de nombreuses années par une association. L’an dernier, aux journées du patrimoine, nous avions eu l’occasion de rencontrer quelques membres de l’équipe de l’association.

Nous visitons le château tous les deux, et, pour faire le tour de l’enceinte et ne pas revenir en arrière, nous passons par un passage théoriquement interdit à la visite. Je visite même une partie du château seul, pendant que ma femme m’attend. Finalement, nous nous apprêtons à repartir par le chemin forestier lorsque nous entendons du bruit qui vient de la zone dans laquelle l’association range son matériel. Ma femme me persuade de la suivre pour dire bonjour aux membres de l’association, leur demander des détails sur les campagnes de travaux de cet été, et les féliciter des progrès accomplis. Je n’y tiens pas, mais devant son insistance, je la suis.

Effectivement, un vieux monsieur très sympathique que nous avions rencontré l’an dernier vient d’arriver sur le chantier. Je me souviens que l’an dernier il nous avait dit que quand nous reviendrions, le château ressemblerait à celui de Vizille, et cela nous avait fait rire. Ma femme lui rappelle l’anecdote, il nous reconnait, et explique en riant qu’il s’est un peu vanté, et qu’il aurait dû dire que ce serait seulement dans cinquante ans. Nous discutons quelques minutes.

Ce monsieur nous raconte qu’il a visité tous les châteaux d’Alsace étant plus jeune, mais que celui-ci lui a toujours énormément plu, parce qu’il a un charme tout particulier. Il nous explique que le château est longtemps resté une ruine avant que l’association soit créée par des bénévoles pour le restaurer, et que depuis ce moment, il y travaille presque tous les week-ends. Avant que nous partions, il nous dit que s’il n’avait pas dû cherché de l’argent ce matin, il serait arrivé plus tôt; qu’il regrette de ne pas avoir ramené de croissants pour nous en offrir, et que cela fait plaisir d’être accueilli ainsi de bon matin.

Nous revenons tout content à la voiture. Pendant la descente, je raconte à mon épouse que je comprends ce monsieur, parce que, moi aussi, j’ai visité ce château lorsque j’étais plus jeune, lorsqu’il était en ruine, et que, moi aussi, je lui ai toujours trouvé  un charme très particulier. Nous prenons le chemin le plus court pour rejoindre Bitche. Au bout de quelques minutes à peine, dans un village, ma femme aperçoit un panneau qui mentionne qu’une abbaye du XIIème siècle est au bout d’une rue. Elle me signale la pancarte et me demande si je veux la visiter. Je lui répond que non, et je lui demande si elle souhaite, la visiter. Sur le même ton, elle me répond que non.

Quelques minutes plus tard sur la route, je commence à être maussade et nerveux. Je reproche à ma femme de ne pas nous être arrêtés. Je lui affirme que je voulais visiter cette abbaye, mais que devant mon « refus catégorique », je n’ai pas voulu insister. Et de fait, c’est ainsi que, à ce moment là, je vois la succession des évènements. Ma femme est sidérée. Elle me déclare que si elle avait su, nous y serions allé, et que d’ailleurs nous pouvons encore faire demi-tour. Je refuse. Je lui affirme que j’ai vu le premier la pancarte, que je lui ai proposé d’aller visiter cette abbaye, et que devant son refus catégorique, je n’ai pas voulu la contrarier. Elle me rétorque qu’elle comprend pas ce que je lui dis, puisque nous sommes sortis essentiellement pour me faire plaisir, que nous ne sommes pas pressés, et que nous aurions pu prendre le temps de faire le détour avant d’aller visiter la citadelle.

Puisque je suppose que mon inconscient est orienté agression, mon émotion est forcément le signe qu’une agression a eu lieu. Mais puisque c’est une émotion, cela me dit aussi que cette agression a eu lieu dans le passé, ou plutôt dans la réalité structurelle de ma famille.

Que dit mon émotion à propos de l’abbaye ? Qu’une femme, qui sait que je voudrais visiter cet abbaye, à qui même j’ai dit que je voulais visiter cette abbaye, me laisse entendre qu’elle refuse catégoriquement que je la découvre, l’explore, la connaisse. Elle s’arrange, parce qu’elle a le contrôle de la voiture (elle est au volant), pour que je ne la visite pas. En somme, elle s’arrange pour me priver de quelque chose dont elle sait pertinemment que cela me ferait plaisir.

Dans les faits, c’est elle qui est venu me parler de cette abbaye, mais peu importe: sur le moment, mon émotion me dit que c’est moi qui avait vu que cette abbaye était là, et que c’était moi qui lui en avait parlé, et moi qui voulait la visiter. Je suppose donc que j’ai raison, et que c’est bien ce qui s’est passé, puisque mon émotion me le dit. Peu importe que je me trompe dans le présent, puisque mon émotion me parle du passé. Et pour le passé, mon émotion est vraie et j’ai raison.

Le plus simple est de penser que tout cela a quelque chose à voir avec la visite du château. Quelque chose, dans notre visite, ou peut-être même dans la succession « visite du château/rencontre/non-visite de l’abbaye » a été reconnu par mon inconscient comme une agression vécue dans le passé. Puisque mon émotion n’est qu’une tentative de l’inconscient d’être entendu – et compris – dans sa vérité à lui, ma déprojection devrait me permettre de comprendre l’agression que l’inconscient a vécu. Une fois que mon inconscient aura été entendu, mon émotion tombera.

Alors de quoi est-il question ici? Puisque je suis dans une projection, mon inconscient voit en mon épouse un de mes parents, et peut-être ma mère. La visite du château et de l’abbaye doivent faire référence à une même activité. Ici, mon émotion à propos de l’abbaye me dit que je voulais continuer une exploration, et que j’ai été découragé dans cette voie, à cause d’une femme. Et puisque le château et l’abbaye font tous les deux référence à la même activité, il est probable que l’arrivée de l’homme plus âgé soit directement lié au fait que cette exploration soit interrompue.

Concrètement, je me lève très tôt le matin pour faire une activité qui me plait, pour visiter, découvrir quelque chose. Une femme semble d’accord pour me laisser faire. Au cours de mon exploration, elle voit que je suis capable de passer par des chemins que d’autres en général n’empruntent pas (les zones interdites au public). Elle semble me suivre et m’encourager dans ma découverte, à aller plus loin dans une exploration que ce qui serait théoriquement permise (les lieux que j’ai revu seul aujourd’hui étaient des lieux dans lesquels l’association travaillait l’an dernier, même s’ils sont encore interdits au public cette année). Ma mère semble m’accompagner, mais concrètement tout à la fin elle ne va pas aussi loin que moi (mon épouse n’était pas intéressée par un partie du château que j’ai exploré seul). Elle a cependant vu que j’allais, sans elle, dans des endroits dans lesquelles elle ne voulait pas, et peut-être ne pouvait pas, me suivre. Elle voit également que ces lieux, auxquels je parviens seul, d’autres y étaient à plusieurs l’an dernier.

Une fois cette exploration réalisée, et alors que nous pourrions tranquillement continuer notre découverte ensemble, ma mère semble réaliser qu’un autre homme est arrivé. Pour les inconscients, nos parents sont omniscients et omnipotents, et le résultat final est le résultat recherché par l’agression. Elle devait donc savoir (omniscience) que cet homme serait là. Elle insiste pour que lui et moi nous rencontrions et discutions. Elle voulait donc que cet homme nous voit, et discute avec moi. Peut-être même que c’est pour cela qu’elle m’a laissé explorer tout à mon aise. Cet homme est plus âgé que moi. Puisque je suis dans une projection, cet homme est forcément un membre de ma famille, en général mes parents, mais ici, il s’agit probablement de mon frère ainé.

L’homme mentionne que lui aussi connaît ce lieu depuis de nombreuses années, depuis qu’il est très jeune, c’est à dire depuis plus longtemps que moi. Il affirme qu’il nourrit les mêmes sentiments à l’égard de ce château que moi, mais d’une certaine manière, lui était là avant moi, et manifestement il restera après que je sois parti. Par ailleurs, puisqu’il s’occupe activement le château, il a les clés de certaines parties du château, et en particulier de la remise à outil, ce qui l’apparente à un propriétaire des lieux.

Puisque les inconscients de nos parents sont omniscients et omnipotents, cette femme ne pouvait ignorer que cet autre homme allait arriver. Et puisque le dernier résultat obtenu est le résultat qui devait être souhaité, elle a dû faire exprès de m’encourager à explorer le château, à passer par des lieux interdits ou inexplorés en général, pour que cet homme vienne, pour l’attirer justement. L’homme était absent avant que j’explore le château. Une fois que je l’ai exploré, cet homme arrive, et affirme avec force qu’il était là avant moi, que lui même a découvert ce château bien avant moi.

Si cet homme aime la même chose que moi (le château), alors il veut la même chose que moi (découvrir, comprendre). Puisque mon inconscient est orienté agression, s’il affirme qu’il était là avant moi, c’est qu’il est jaloux. Ma mère ne pouvait pas ignorer qu’il était jaloux, et que le meilleur moyen de faire venir cet homme était de me laisser explorer le château. Le but de ma mère en m’encourageant dans mon exploration et ma découverte était donc d’éveiller sa jalousie à lui.

Alors que dit mon émotion, en fin de compte? Comme toutes les émotions négatives, elle parle d’une agression que j’ai subi au sein de ma famille.

Je suis éveillé très tôt, très jeune, et je manifeste dès le début mon intérêt pour les châteaux. Je montre également que je suis désireux d’apprendre, d’aller plus loin, d’explorer ce que d’autres ne peuvent en général pas explorer. Une femme semble m’encourager et m’accompagner. Elle voit que je vais là où d’autres ne sont pas allés ou ne peuvent pas aller. Elle ne peut ignorer qu’un homme plus âgé, absent au départ, va le savoir, et en éprouver de la jalousie. Elle se débrouille d’ailleurs pour que cet homme le sache, s’en rende compte, pour éveiller sa jalousie. A la suite de cette rencontre, de cet affrontement, je suis obligé de m’en aller, et un homme plus âgé que moi reste dans ce qui est malgré tout, ou devrait être, ma maison. A la suite de cette mise en scène, l’attitude d’une femme change radicalement, et elle refuse désormais de m’autoriser à explorer plus que ce qui serait prévu dans le cadre d’un parcours normal.

D’ailleurs si l’homme plus âgé est revenu au château grâce à cette mise en scène, la femme qui est à côté de moi ne peut plus être absolument la même femme qu’avant. Auparavant je voyais ma mère. Mais une fois l’agression vue, je ne vois plus qu’une femme guidée par ses pulsions, c’est à dire un être sexué.

Ici, j’ai retrouvé de nombreux éléments qui reviennent en général dans mes émotions: j’ai appris à lire seul avant mes trois ans dans un livre sur les châteaux-forts, justement. Ma mère, qui m’avait tendu le livre en pensant que je jouerai avec, se serait ensuite rendu compte que je lisais. Elle a dû le dire devant mon père et mes deux frères, et en particulier mon frère ainé, qui en a éprouvé de la jalousie.

Par la suite, alors même que je savais déjà lire et compter, et que mes deux frères, qui avaient appris à lire après moi dans des livres moins compliqués, avaient tout deux un an d’avance à l’école, mes parents n’ont jamais rien fait pour m’épargner le CP, ni me faire jamais sauter d’années.

Comme le but final de l’agression est toujours le dernier résultat obtenu, comment puis-je aller plus loin? Au bout du compte, l’homme et la femme que sont mes parents ne peuvent ignorer la douleur que cette frustration représenterait pour moi. Ils ne peuvent ignorer que je ne comprendrai jamais comment ils peuvent m’infliger une telle injustice, et que ce questionnement va me perturber. Ils ne peuvent ignorer que cette injustice va me déprimer, en particulier en classe, et que mes résultats scolaires, et surtout mon bien-être, en seront affectés.

Ils ne peuvent ignorer non plus que je ne pourrai rien dire. Ils ne peuvent ignorer que cette douleur tue devra s’exprimer, et que si je ne peux en parler, mon corps exprimera cette douleur. Ils veulent donc me déprimer, me rendre malade, et même, potentiellement, me rendre fou.

Pourquoi le font-ils? L’homme qu’est mon père le fait par pure perversion. La femme qu’est ma mère le fait par pulsion sexuelle, parce qu’elle veut faire revenir auprès d’elle un homme qui, sans cela, s’éloignerait d’elle, mon frère ainé. Mais elle le fait également pour une autre raison: à la fin de sa vie, ma mère a été atteinte par la maladie d’Alzheimer. A cette époque, il lui arrivait de dire qu’il fallait « qu’il y en ait deux qui meurent pour qu’un vive ». Nous étions trois frères, mais dans son souvenir, elle ne se souvenait que d’avoir eu jamais qu’un seul fils.

Une fois cette analyse faite et déprojetée sur les évènements de la journée, l’émotion tombe complètement. En repensant à la séquence des évènements quelques heures plus tard, je réalise avec stupéfaction qu’effectivement c’était bien mon épouse qui m’avait proposé de visiter l’abbaye. Parce que mon inconscient voulait exprimer son message, il avait occulté ce fait à ma conscience.

Alors, ai-je eu tort de considérer quelques heures plus tôt de considérer que j’avais raison? Non, bien sûr. Quand je suis dans une émotion, je dois considérer que mon émotion dit la vérité. MAIS ÉVIDEMMENT, je dois considérer que cette vérité est une vérité du passé. Et tant que je suis sous le coup de l’émotion, je dois continuer à analyser tant que mon émotion n’est pas tombée.