Vous connaissez certainement cette statistique : 95 % des régimes échouent. Pire : nous finissons par reprendre plus de poids que nous n’en avons perdu avec nos régimes. Devant ce constat, les médecins tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme. Beaucoup recommandent d’arrêter de faire des régimes, ce que certains vont traduire par nous accepter « comme nous sommes ».
La vérité est que tout le monde ne peut pas maigrir ! Ou plus exactement, si beaucoup peuvent atteindre un jour le poids de leurs rêves, peu réussiront à s’y maintenir ¹.
Nos espoirs ne seraient tout simplement pas adaptés à la réalité. La responsabilité en incomberait à notre physiologie. C’est elle qui nous condamnerait, en ne nous permettant pas d’être plus minces, quand bien même nous le voudrions. Notre erreur, à tous, consisterait donc à nous fixer des objectifs irréalistes. Nous voudrions mincir, et bien sûr nous voudrions mincir « trop », sans nous rendre compte que nous ne le pouvons pas. Nous ne comprenons pas que notre corps ne nous permettra pas de ressembler à l’image fantasmée que nous avons de nous-mêmes. Notre faute réside dans notre incapacité à admettre ne pas avoir les moyens de nos ambitions. Nous nous fixons des objectifs impossibles à atteindre, nous nous berçons d’illusions. Mais ce discours est difficile à faire accepter. D’abord, parce que beaucoup de personnes se sentent trop grosses, en dépit de ce qui est dit de notre « poids de forme » :
Près de la moitié des Européens aimeraient être plus minces. En Suisse, chez les 14-17 ans, 62 % des filles souhaitent maigrir et 77 % se trouvent trop grosses. Chez les adultes, 35 % de la population est insatisfaite de son poids, tandis que 60 % des femmes et 49 % des hommes déclarent faire attention à leur alimentation. En France, parmi les femmes de poids normal, 51 % sont au régime et parmi les femmes en excès de poids non obèses, 64 % sont au régime parce qu’elles se trouvent trop rondes ².
Il est possible, et certainement confortable, de penser que, si la plupart des gens se sentent trop gros, il ne s’agit en fait que d’une sorte d’hallucination collective qui ferait que personne ne se sente bien dans son corps. Nous serions donc influencés par des critères sociaux, véhiculés par des médias irresponsables, et collectivement victimes d’un biais psychologique contre lequel nous devrions tous lutter.
Cependant, à l’heure actuelle, non seulement les gens se « sentent » trop gros, mais ils ont tendance à l’être effectivement, pour une grande partie d’entre eux.
En Amérique du Nord […], 20 à 30 % de la population souffre d’obésité. En Europe, 10 à 20 % de la population est touchée. […] À Genève, chez les 35-74 ans, 45 % des hommes et 25 % des femmes sont en surpoids [modéré], 15 % des hommes et 11 % des femmes souffrent d’obésité. Additionnés, ces chiffres relèvent que 60 % des hommes et 36 % des femmes présentent un excès de poids. […] [E]n Suisse, 1 enfant sur 5, entre 6 et 12 ans, est en excès de poids ³.
C’est-à-dire que ce qui aurait pu auparavant être interprété comme un phénomène purement psychologique se traduit indiscutablement dans les statistiques médicales, quand bien même celles-ci ne correspondraient pas précisément à la perception intuitive que nous pouvons avoir de notre corps.
Malgré tous nos désirs de maigrir, il semble que nous mangions en dépit du bon sens. Sans même parler des cas pathologiques, la plupart d’entre nous mangeraient trop, trop gras, trop sucré, trop salé. La plupart d’entre nous souffrent de surpoids — ou pensent en souffrir —, la plupart d’entre nous veulent maigrir, et sont prêts à beaucoup de sacrifices pour y parvenir. Pourtant, quand nous y sommes enfin arrivés, rares sont ceux d’entre nous capables de se maintenir à leur nouveau poids.
Il faudrait donc admettre que nos désirs sont totalement irrationnels, et tout bonnement incompatibles avec nos besoins. Satisfaire les uns reviendrait à nier les autres. On ne pourrait pas avoir «le beurre et l’argent du beurre», se nourrir en suivant ses envies et être mince, voire maigre. La vie est une question de choix, et, si vous refusez de vous rendre anorexique ou privilégiez votre santé à votre apparence, eh bien ! il faudra bien que vous acceptiez de ne pas ressembler à un mannequin. Vous avez néanmoins de la chance : vous optez pour la situation où vous ne vous privez de rien.
Vous pensez préserver votre « capital santé ». Vous avez des raisons de vous réjouir.
Le problème, avec ce raisonnement, est qu’il part implicitement du principe que ce qui gouverne mes appétits, mon inconscient, est irrationnel. À la fois il me ferait souhaiter des choses impossibles à atteindre et me pousserait à agir dans le but de les obtenir, puis me punirait des efforts que lui-même aurait induits. Comment pourrais-je dès lors m’y fier ? À l’évidence, voilà qui serait impossible. À mon insu, faudrait-il supposer, deux forces inconscientes agiraient en moi : une, totalement rationnelle, qui garantirait ma survie, et l’autre, totalement irrationnelle, qui gouvernerait mes désirs.
Or toutes les statistiques précédentes ont ceci de remarquable qu’elles traduisent des émotions extrêmement communes. L’immense majorité d’entre nous considèrent que notre poids est supérieur à ce qu’il devrait être, et une grande majorité d’entre nous souhaitent maigrir. L’immense majorité d’entre nous font l’expérience du même message inconscient : que nous sommes trop gros, que nous devrions perdre du poids, et que cette perte de poids doit passer par l’alimentation. C’est-à-dire que, pour nos inconscients, maigrir est non seulement souhaitable, mais également possible. Et, en général, notre intuition nous conduit à penser que cela passe par l’alimentation. C’est-à-dire que notre désir de maigrir est fondé. Ce qui semble clair, toutefois, c’est que l’immense majorité d’entre nous ne savent pas comment maigrir ou du moins rester minces. Supposer notre inconscient rationnel, savoir comment il fonctionne, c’est se donner une chance de comprendre ce qu’il veut, et d’être à même de l’atteindre.
1. Jean-Philippe Zermati, Maigrir sans regrossir, est-ce possible ?, Odile Jacob, p. 10.
2. Magali Volery, « Encourager l’abandon des régimes dans les programmes de lutte contre l’obésité », dans Traiter l’obésité et le surpoids, Odile Jacob, p. 304-305.
3. Ibid.