De retour d’un week-end, mon mari et moi nous arrêtons à une station de service sur une autoroute. Au moment d’aller aux toilettes, nous réalisons que les toilettes des hommes ont été condamnées pour nettoyage, et qu’hommes et femmes doivent utiliser les toilettes des dames. Cela me contrarie.
Mon mari et moi nous dirigeons vers deux toilettes libres, côte à côte. Mes toilettes sont inoccupées, tandis que les toilettes à côté de moi sont libérées par un homme juste au moment où nous arrivons. Parce que je n’ai pas entendu de bruit de chasse d’eau, je suis persuadée que cet homme n’a pas tiré la chasse derrière lui.
Et pour être honnête, je suis régulièrement persuadée que des hommes ne tirent pas la chasse derrière eux, ou ne font pas assez attention quand ils utilisent des toilettes communes aux hommes et aux femmes. Je suis convaincue que la plupart se tiennent debout pour uriner, par commodité ou paresse, ou parce qu’ils le peuvent, et que nous, les femmes, ne le pouvons pas. Ils ne tiennent pas compte du fait qu’ils salissent les toilettes et que des femmes pourront les utiliser.
Cette scène n’est importante que dans la mesure où elle trahit un biais chez moi. L’émotion que j’ai ressenti, même si elle n’a rien d’extrêmement violent, est symptomatique dans la mesure ou elle est récurrente. Et parce qu’elle est récurrente, elle est importante.
Quand mon mari ressort des toilettes, je lui demande s’il a bien tiré la chasse derrière lui, car, là encore, je ne l’ai pas entendu. Mon mari se vexe, m’informe qu’il a bien tiré la chasse, et que l’homme qui était avant lui l’avait également fait. Je suis donc clairement dans une situation ou ma perception est biaisée, et où je suis en train de projeter quelque chose sur la situation.
Il s’agit d’hommes qui utilisent les toilettes des dames. Je vois deux possibilités à cette projection :
Mon inconscient peut voir dans les « toilettes » une signification symbolique: un homme pénètrerait dans un endroit privé, propre à une femme, auquel il n’a pas, ou ne devrait pas avoir accès. Il en profite pour manifester son manque de respect envers elle, pour la salir. On peut rapprocher cela à l’image d’un viol. Un homme veut salir quelque chose d’intime qui appartient à une femme. Il manifeste qu’il se moque bien de la femme, qu’il n’en a rien à faire, qu’il ne lui montre aucune considération, qu’il n’a aucun respect pour elle, et pour les services qu’elle lui rend.
Il ne tire pas la chasse, c’est à dire qu’il considère qu’il n’a pas à le faire, qu’il n’a pas à se cacher de son geste. Il peut montrer quelque chose de sale de lui. Pourquoi ? S’il n’est pas propre, s’il salit, c’est à la femme à faire son ménage. Un homme signifie qu’il n’a pas à faire son ménage, et que c’est à une femme de le faire. C’est-à-dire qu’il peut ne pas lui montrer de considération, et qu’elle devra compenser son attitude en en faisant plus que ce qu’elle ne devrait.
Mon inconscient peut également me signifier un glissement de sens: les toilettes des dames, ce sont les « vêtements de dames », ce qu’elles portent, leurs « toilettes ». C’est un mot qui fait partie du vocabulaire de ma mère. Dans ce cas, il y a un homme qui est bien content de pouvoir utiliser les toilettes (vêtements des dames) comme un argument pour les souiller, en dire du mal, ne pas les respecter, montrer son manque de considération. Par là, il me signifie qu’il se sent supérieur à la femme en général, dont il méprise ouvertement le souci pour les toilettes, tout en étant bien heureux d’utiliser cette tendance à son profit.
Un homme utilise les toilettes des femmes contre elles, pour les déconsidérer : une femme est sensée s’occuper de sa toilette, mais le fait qu’elle s’en occupe la relègue à un rang subalterne dans la société.
Ces remarques pourraient être adressées à la gent masculine en général. Une critique fréquemment faite aux femmes est bien qu’elles ne pensent qu’à leur toilette, mais on omet également de dire que les hommes favorisent ce genre de comportement. Ici toutefois, je rapprocherais cette remarque de mon père et de ma famille en général. On veut voir en moi, une fille, une personne soucieuse de vêtement, alors qu’il s’agit d’un impératif qui m’est fait, en tant que femme. Si je ne pense pas aux vêtements, on me reprochera de ne pas vouloir séduire l’homme, et donc d’être un « garçon manqué » – ce qui parfois, peut effectivement être commode.
Par ailleurs, reprocher à une femme son inclination pour les toilettes, c’est lui reprocher son « sexe », alors même que ce sexe lui a été imposé à la naissance. Ce n’est pas moi qui ai choisi de naître femme, on m’a créée femme, et même, on continue à me créer femme tous les jours.
Faire preuve de goût, être sensible à l’apparence physique, m’est reproché. Mais parallèlement, quand il s’agit de m’envisager dans un métier, on me verrait bien tenir, par exemple, un magasin de vêtement, puisque ce n’est que ce qui m’intéresse. On me félicite pour mon gout, on aime éventuellement l’image que je renvoie, on peut me trouver élégante. De tout cela, ma famille tire profit. Mais, en même temps, on en fait une arme contre moi, en prétendant que je ne suis que cela. Je ne m’intéresse à rien, je ne suis pas une intellectuelle, je ne me préoccupe pas de choses plus importante. Tout cela conforte une image très machiste de la société, dans laquelle l’homme seul peut être sérieux, et dans laquelle une femme est nécessairement sotte ou frivole. On utilise donc mes toilettes pour me salir, ne pas m’éduquer ou me former.
Cette deuxième interprétation fait tomber mon émotion.