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Mon neveu

Je suis mère de deux enfants. Je suis également la tante, par mon mari, d’un petit garçon, mon neveu, qui est né quelques mois avant ma fille, qui est l’ainée de mes deux enfants.

Il se trouve que j’ai toujours eu beaucoup de mal avec cet enfant. Je ne peux pas le « sentir », comme on dit. J’attribue mon antipathie au fait qu’étant le premier né des petits enfants de mes beaux-parents, il a toujours eu une importance que je juge exagérée au sein de ma belle-famille, et en particulier aux yeux de ma belle-mère. Bien sûr, cette importance peut également être due au fait que, avant que mon neveu ne naisse, ma belle-sœur avait fait une fausse couche. Cet évènement tragique explique sans doute que ce premier petit fils soit si important pour eux, et pour elle surtout. A mes yeux, il bénéficie de cette circonstance particulière.

Mais d’une manière générale, je trouve que c’est un petit garçon qui affiche toujours un sourire qui me déplait: il semble très content de lui. J’ai la certitude qu’il se sait malin, qu’il s’estime supérieur. En particulier, je n’aime pas la manière qu’il a de me dire ostensiblement, quand il me rencontre : « Bonjour Tata », et d’avoir l’air tellement satisfait de me le dire.

Je trouve également injuste qu’on lui accorde autant d’importance, alors que ma fille, qui est née quelques mois après lui, est complètement éclipsée par ma belle-famille. Il est clair que pour ma belle-mère en particulier, seule le premier compte.

Toutes ces émotions semblent anodines et justifiées. Elles pourraient s’expliquer parfaitement étant données les circonstances, et il pourrait sembler normal de les ressentir. Par ailleurs, je me répète sans arrêt que mon attitude est totalement irrationnelle. Que je devrais être capable de me contrôler, et que manifestement cet enfant n’a rien fait de mal. En somme, que c’est moi qui suis jalouse, en tant que mère, de l’importance qu’il a par rapport à ma propre fille, que j’ai toujours vue délaissée et traitée comme inexistante au sein de ma belle-famille. Mais là encore, je me dis sans arrêt que c’est moi qui exagère, et que je dois vraiment être folle de penser de cette manière.

Peut-être après tout, ai-je raison. Peut-être que tout vient de moi, que je m’invente une histoire, que je suis hystérique. C’est très probable. Je suis sans doute une mère jalouse. Mais je me suis raisonnée pendant très longtemps, et rien n’a changé dans mon attitude vis-à-vis de mon neveu. Au contraire, mon sentiment ne fait que s’amplifier avec le temps.

Puisque l’attitude de prendre sur moi, d’être rationnelle, de remettre les choses dans leur contexte n’a pas marché, je vais partir du principe inverse. Je vais aller justement vers l’irrationnel. Je vais confronter mon émotion, et partir du principe qu’elle me dit quelque chose de vrai, mais que c’est surtout vrai vis-à-vis de quelqu’un d’autre. Que c’est vrai, mais non pas ici avec mon neveu, mais dans le passé, un passé qui serait toujours présent pour mon inconscient, et qui s’exprimerait à travers mon neveu.

Je vais supposer que mon inconscient est en train de dire quelque chose de parfaitement vrai, quelque chose qui a à voir avec ma famille. Je vais supposer qu’il a vu quelque chose, qu’il n’a jamais pu exprimer, mais qu’il considère comme vrai au sein d’une famille, et que cette famille, c’est de la mienne dont il s’agit. Qu’il ne pourra jamais le dire directement à propos de mes parents, mais qu’il a vécu une agression qu’il n’a pas pu le dire dans le passé à propos de ma famille, mais qu’il peut le dire aujourd’hui à Je vais pourtant partir du principe que mon neveu devrait m’être parfaitement indifférent, et que mon émotion est d’abord en train de me parler d’une agression que j’ai vécu dans ma famille.

Puisqu’il y a émotion, je sais que je ne vois pas en mon neveu simplement mon neveu, mais justement quelqu’un d’autre, qui ne peut être qu’un nombre très limité de personne : mon père, ma mère et moi. Je vais garder à l’esprit que, outre mes parents, mon inconscient peut chercher à me signifier que mes parents ne se sont justement pas comportés avec moi comme des parents, et que donc il est possible qu’il me parle d’un homme et/ou d’une femme que j’ai toujours appelé mon père et ma mère, mais qui ne se sont justement pas comportés comme tel, et n’auraient pas assumé leurs rôles.

Je vais revenir sur mon neveu. Il s’agit d’un enfant, c’est vrai, mais il s’agit avant tout d’un garçon, et donc d’un homme. Il pourrait donc s’agir soit de mon père, soit de l’homme qui se trouve être mon père, ou qui prétend être mon père mais agit avant tout dans son intérêt d’homme.

Par ailleurs, il s’agit d’un homme qui a une importance exagérée. C’est-à-dire qu’il a une importance supérieure à celle d’un enfant. Littéralement, il a l’importance non pas d’un, mais de deux enfants, puisqu’en l’occurrence son importance lui vient d’un autre enfant, qui a disparu. Visiblement, il a conscience de cette importance exagérée, et cela ne lui pose pas de problème particulier. Cela me pose problème à moi, par contre.

Je n’aime pas la manière dont il me dit « Bonjour Tata ». Il y a donc un homme qui s’affiche ouvertement comme un enfant, mais qui ne peut pas ignorer qu’il a dans la famille une importance supérieure à celle d’un enfant normal. C’est donc un adulte qui se présente comme une enfant.

A chaque fois que je vois mon neveu, je suis donc obligée de voir un homme est un adulte pour tous, puisqu’il a plus d’importance qu’un enfant pour tous. Si tout le monde le considère comme plus qu’un (seul) enfant, c’est que tout le monde le considère comme une adulte. Il s’agit donc de mon père, ou de l’homme qui se trouve être mon père. Or justement, cet homme que tout le monde voit comme mon père insiste, à chaque fois qu’il me voit, pour m’appeler me dire « Tata » d’un jour triomphant. Puisque ce mot me pose problème dans sa bouche, alors que je devrais y être indifférente, c’est que mon inconscient reconnait dans son emploi une agression. Pourquoi ? Mon père est donc en train de prétendre qu’il est un enfant. A chaque fois qu’il me voit, il dit mon prénom, qu’il a choisi, et il y accole une dénomination qu’il a également choisie, et qui véhicule plusieurs idées : D’abord que je suis plus âgée que lui. Et puisqu’il joue le rôle de l’enfant, cela doit vouloir dire qu’il me voit comme une adulte. Ensuite,il insiste à dessein sur le fait que nous sommes dans un lien de parenté, et que donc, puisqu’il décrète que je suis l’adulte et qu’il est l’enfant, il affirme et il m’oblige à m’occuper de lui.

Je vais partir du principe qu’en agent économique rationnel, l’inconscient voit en toute personne des individus qui lui sont égaux. C’est-à-dire que pour lui, tout le monde devrait avoir une valeur égale. Et je vais partir du principe que si une personne a plus de valeur que d’autre, c’est qu’il a dû prendre cette valeur à quelqu’un d’autre, que cette supériorité a été usurpée à quelqu’un d’autre, et donc forcément à moi, puisqu’il m’est supérieur.

Il a autant de valeur que deux enfants. Pourquoi ? S’il s’agit de mon père, et qu’il a l’importance de deux enfants, c’est que quelqu’un a dû lui donner la valeur de deux enfants, et peut-être justement, celle des deux enfants qu’il a en tant que père. Ce qui veut dire que le rôle d’enfant que mon père se plait à assumer, et son importance exagérée en tant qu’homme, se fait au détriment des enfants que mon père a, et dont il a renoncé à s’occuper.

Pour continuer mon analyse, je vais continuer à coller à la réalité de mon ressenti vis-à-vis de mon neveu. Qui lui donne cette valeur, dans la famille ? Sa grand-mère. C’est-à-dire une femme qui n’est pas sa mère, mais qui le préfère à tous ses autres (petits-) enfants. Cette femme, qui préfère cet homme au point de lui préférer ses autres enfants, doit forcément être la femme qui se trouve être ma mère, et qui nous a donné à cet homme, ou sacrifié à cet homme.

Mon père se complait donc dans un rôle d’enfant. Il ne peut pas ignorer qu’il a usurpé ce rôle, au détriment de deux personnes, ses propres enfants, qu’une femme, qui n’est pas sa mère, et qui n’est pas la mienne non plus, lui préfère. En somme, une femme, ma mère, a donné la valeur de ses deux enfants à mon père.

Je reviens sur l’émotion de mon neveu et je la déprojette en y accolant mon interprétation. Immédiatement, me vient à l’esprit cet air malin que je ne supporte pas quand il me dit bonjour. J’ai déprojeté quelque chose, et mon inconscient vient de me donner une information supplémentaire.

Mon inconscient a donc compris que j’avais intégré son message, et me signifie, par cette pensée, quelque chose que je n’ai pas encore vu de l’attitude de mon père. Il se comporte certes comme un enfant, mais dans son rapport avec moi il prend un air malin. « Malin » peut faire référence à l’intelligence, bien sûr, mais également à quelque chose de « diabolique », c’est-à-dire au « mal », le contraire du bien, ou au mâle, l’homme. Plusieurs interprétations sont donc possible, qui d’ailleurs ne s’excluent pas mutuellement : d’une part, mon père nous a niés comme enfants, il a pris la valeur qu’on lui a donnée, mais il ne peut pas ignorer que ce qu’il fait est mal. Pourtant il affiche par son sourire que cela ne lui pose aucun problème, qu’il agit en toute impunité. D’autre part, il veut avoir l’air malin. Il veut s’afficher comme un homme, malgré son rôle d’enfant, et qui plus est, il veut être le plus intelligent. C’est donc un homme qui veut être à la fois un enfant et un homme, et qui veut garder une supériorité intellectuelle. Il y parvient en écrasant ostensiblement une femme qui est en fait sa propre fille, qu’il ne veut pas reconnaître comme telle.

Je déprojette ce sentiment en utilisant l’émotion que me cause cette petite phrase de mon neveu. Mon émotion tombe, et ma pensée se porte naturellement sur l’image de ma belle-mère, sur sa préférence pour mon neveu, et sur le fait qu’elle délaisse ma propre fille.

Puisque je suis dans un processus de déprojection, je vais continuer à considérer cette pensée comme faisant partie du dialogue avec mon inconscient.

Cette femme, qui accorde tant d’importance à mon père, est la même femme qui ignore manifestement une (petite-) fille, ou minimise sa valeur. Ma mère est donc en train d’ignorer ses enfants au profit de mon père, et est en train de faire semblant d’ignorer qu’elle nie mon rôle de fille, d’enfant pour me donner celui d’adulte, et en particulier d’adulte dans une famille, c’est-à-dire de mère.

Je déprojette cette émotion en lui accolant cette analyse. A ce stade, toute émotion a totalement disparu vis-à-vis de mon neveu et de ma belle-mère.