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Rabbi Jacob

« Les Aventures de Rabbi Jacob » est un film comique franco-italien réalisé par Gérard Oury, sorti en 1973. Le film raconte les mésaventures de Victor Pivert, un industriel français arriviste, cynique et autoritaire, rempli de préjugés racistes, antisémites et xénophobes qui ne songe qu’à une chose, se rendre au mariage de sa fille. À la suite d’un accident, il se retrouve bien malgré lui embarqué dans les péripéties d’une révolution dans un pays arabe menée par Mohamed Larbi Slimane. Pour échapper tout à la fois aux barbouzes du colonel Farès et des policiers français, il se déguise en rabbin, mais est confondu à l’aéroport avec Rabbi Jacob, revenu tout exprès en France après une longue absence pour célébrer la Bar-mitzvah de son petit neveu, David Schmoll.  Entretenant la méprise, « Rabbi Jacob » et son « portir et chauffir Rabbi Seligman » sont entraînés rue des Rosiers, au cœur du vieux quartier juif de Paris, où ils sont accueillis par toute la communauté. Dans cette scène, « Rabbi Jacob » est invité à une danse hassidique.

Ici, le héros doit, pour rester en vie, accepter d’endosser le rôle d’imposteur, au sein d’une communauté dont il ne sait rien, et qui lui est totalement étrangère. Pour y parvenir, il dépend entièrement de ce qu’un autre homme, Slimane, qui ne lui est pas particulièrement proche mais qui est mieux informé, veut bien lui indiquer, spontanément ou en le corrigeant. Rabbi Jacob, cette personne, ce personnage que l’imposteur est censé incarner, toute une communauté l’attend, l’espère, se réjouit de sa venue. Il s’agit donc à la fois de rester en vie, mais également de ne pas les décevoir. Ainsi, l’imposteur doit accepter d’endosser les qualités du personnage qu’on veut qu’il soit: il doit danser, puisque Rabbi Jacob est un très bon danseur.

Et de fait, le rire vient lorsqu’on constate que l’imposteur, Victor Pivert, que nous pensions bien connaître maintenant, réussit à exécuter tous les pas qu’on attend de lui, de manière parfaitement naturelle, et ce, quelles que soit les figures imposées, tout simplement parce qu’il est entouré de personnes qu’il se contente d’imiter. En fait, l’imposteur n’est pas un bon danseur: c’est le groupe qui est composé de bons danseurs. Pivert-l’imposteur se contente de les observer et de prévoir, d’anticiper à très court terme ce qu’on peut vouloir de lui. Il ne fait donc que révéler ce que ceux autour de lui vont faire, sont. Plus exactement, le groupe s’est arrangé pour faire agir l’imposteur de telle sorte qu’il puisse confirmer, par son comportement, qu’il s’agit bien de Rabbi Jacob, ce parent qu’il n’ont jamais vu et qu’ils croient reconnaître.

Et finalement, l’imposteur s’avère être heureux d’avoir pu ainsi donner le change, et est flatté de se voir attribué une qualité qu’il sait ne pas avoir eu. En somme, en ayant accepté de se conformer à ce qu’on attend de lui et à renoncer à sa propre identité, l’imposteur a réussi à se faire accepter. Mieux, le groupe semble avoir révélé à Victor Pivert des ressources insoupçonnées, des facettes de sa personnalité que lui-même ignorait.

De même, Victor Pivert n’a jamais prétendu être Rabbi Jacob, c’est « Mamé » Schmoll, la belle-sœur de Rabbi Jacob, une vieille dame sympathique et maternelle, mais quelque peu myope et sourde, qui croit le reconnaître, et crie au monde son nom. Elle est donc la figure d’autorité qui dit que Victor Pivert est Rabbi Jacob, et que personne ne peut réellement contredire. C’est donc la parente la plus proche, la seule qui est censée savoir, la figure maternelle qui impose qui est le nouveau venu, en disant qu’elle le reconnait, qu’elle l’aurait reconnu entre mille, qu’il est tout le portrait de … en l’occurrence son cher mari décédé. Personne ne peut la contredire dans la communauté, et Pivert et Slimane sont certainement pas en position de le faire.

Autre ressort comique, Victor Pivert tente de prévenir la police des agissements du Colonel Farez. Croyant parler au « Commissaire », dont il reconnaît la voix, il parle en fait à Farez lui-même. Incapable de voir à qui il parle et qui il appelle à l’aide, Pivert fait un portrait parlé de Farez en être cruel, sanguinaire et sadique. De l’autre côté de la ligne, Farez – dont le visage semble tout d’un coup s’être radouci et qui manifestement ne correspond pas exactement à ce portrait outré – conseille à Pivert d’un ton doucereux et rassurant de ne pas bouger, « nous arrivons »….

Le rire nait donc d’une réalité de l’inconscient: nous passons notre vie d’enfant à confesser à nos parents, que nous croyons connaître et que nous croyons bons, la manière dont nos inconscients les perçoivent, tout simplement en leur racontant nos malheurs, nos craintes, nos griefs. La confiance est accordée sur un malentendu complet.

À tout bien y réfléchir, ici tout du moins, le rire ne surgit pas d’une tentative de connexion avec un autre unique. Pivert ne cherche pas à établir un lien d’intimité, de compréhension profonde, de partage total avec une seule personne. Il se plie tout simplement à ce qu’on attend de lui, afin d’être admis par un groupe qui lui est foncièrement étranger, groupe qu’il va ensuite aimer parce que lui-même aura d’abord été admis par eux, et que ce groupe lui a sauvé la vie. Nous ne sommes certainement pas dans une situation amoureuse, mais sociale.